L’abbé Jean-Pierre Boubée a été directeur de deux établissements secondaires d’enseignement. À toutes les étapes de son sacerdoce, il a été appelé à former des scouts et leurs maîtrises. Il répond aux questions de « Famille d’abord ».
Monsieur l’abbé, où en est le scoutisme en ce début du XXIe siècle ?
D’une manière générale, le scoutisme a perdu cette place privilégiée de premier rang dans l’éducation des enfants durant leurs loisirs. Certes, quelques paroisses urbaines s’efforcent d’entretenir la flamme mais parfois sous des formes édulcorées assez éloignées de la pédagogie initiale.
Notons également que même dans les milieux où le scoutisme reste à l’honneur, par tradition familiale, bien des parents y renoncent sous des prétextes parfois surprenants ou attristants.
Croyez-vous que le scoutisme corresponde à un besoin de la jeunesse du XXIe siècle ?
C’est une évidence ! En effet, que reproche-t-on à notre société ?
- son matérialisme, la peur de l’effort physique et moral, la soif de posséder ;
- son éloignement du réel par la création d’un univers virtuel de jeux et d’amitiés ; la perte des joies simples ;
- ses idéaux creux et dissonants autour de la liberté, des droits, des « valeurs », de l’égalité, de la démocratie, la jouissance ;
- son égoïsme et sa difficulté à s’engager sur du long terme…
La liste pourrait s’allonger.
La pédagogie du scoutisme a anticipé les problèmes naissants de cette société décadente. C’est un système d’éducation simple, profitant de la nature, obligeant à l’effort, à un certain dépouillement ; il incite à aimer Dieu, à se dévouer pour les autres, à embrasser le choix perpétuel de ce qu’il y a de meilleur pour l’âme et pour la volonté, le tout dans une atmosphère de jeux.
Les grands éducateurs qui en ont affiné la méthode avaient une parfaite intuition des maux qui menacent notre jeunesse ; il faut reconnaître que les points de la méthode semblent être des remèdes inventés sur mesure pour notre époque.
Ne pensez-vous pas que les pensionnats traditionnels rendent inutiles ce type d’éducation ?
Les pensionnats traditionnels font effectivement un excellent travail de formation des personnalités mais éloignent les enfants de leurs parents. Deux facteurs qui font que certains parents peuvent éprouver des réticences à envoyer un enfant en camp après une année de pensionnat.
Toutefois, les deux domaines ne sont pas rigoureusement du même ordre et d’ailleurs se complètent. La constance du travail scolaire parfois ingrat ne produit pas les mêmes éveils que l’atmosphère d’un mouvement de jeunes. Ce dernier emporte une adhésion spontanée plus intense et facilite un travail plus exigeant sur les notions de service, de Charité, d’attention aux autres. C’est pourquoi, les parents ne doivent pas craindre de mettre en relief les aspects positifs de cette forme d’activités ludiques.
Comment le scoutisme arrive encore à enthousiasmer tant de jeunes ?
Le jeune est plongé dans une atmosphère de jeu, d’émulation et de mise en situation de responsabilité ; c’est ainsi que, même les réalités les plus banales de la vie quotidienne comme réaliser son coin d’habitation ou faire la cuisine, sont l’occasion de s’investir et de faire gagner son équipe. L’enfant ou l’adolescent s’engage alors plus intensément et vit avec beaucoup plus d’aisance les vertus qu’on cherche à lui inculquer.
Alors, comment expliquer cette sensible désaffection des parents ?
A côté de la question du pensionnat déjà évoquée, il faut noter le développement d’une mentalité sécuritaire excessive ainsi qu’une surprotection de l’enfant. Je pense à la crainte exagérée, souvent maternelle, pour la santé corporelle, — et uniquement corporelle — de leur rejeton . Il ne leur faut ni trop chaud, ni trop froid. Certains parents n’ont pour unique argument que la volonté de voir leur enfant auprès d’eux, pour eux, sans considération véritable du bien de l’enfant à long terme.
Certains reprochent au scoutisme un certain naturalisme.
C’est davantage un prétexte qu’un argument sérieux car soyons honnêtes : à quoi les enfants passent-ils plus de temps l’été ? A étudier les encycliques ou à regarder des films et jouer au foot ?
Plus sérieusement, cet argument a toujours été réfuté par les papes. En effet, les désordres de notre nature ne peuvent être supprimés qu’avec l’aide conjointe de la Grâce et des instruments naturels adéquats. Connaissez-vous un chauffeur qui réparerait les freins de sa voiture en se contentant d’une bénédiction ?
En conclusion :
On pourrait faire une comparaison avec l’art. L’art, parce qu’il montre le Beau, doit être un reflet de Dieu. Il existe des miettes d’art qui vantent les désordres moraux ; elles profitent des harmonies que la beauté véritable a laissées à leur portée. Mais, la quintessence du Beau se trouve dans le déploiement de l’art religieux, ou au minimum dans les harmonies qui vantent l’ordre créé.
De même la quintessence d’un système éducatif bien conçu ne prend sa vraie dimension que sous l’influence de la Grâce.Le scoutisme veut permettre une véritable éducation. Il ne peut être porter ses fruits que sous l’éclairage et l’action bienfaisante de l’Église catholique.
Il est vrai que le soubassement d’une nature qu’on équilibre et qu’on dompte partiellement favorise ce chemin vers Dieu. C’est ce qui explique l’étonnante résistance de cette pédagogie au déferlement des aberrations religieuses ou pédagogiques des dernières décennies.
Car il faut reconnaître que le scoutisme est le seul mouvement à avoir résisté dans une importante proportion au vent libertaire de destruction de la jeunesse. Il en a trouvé le ressort par sa puissance à éveiller l’amour d’un idéal, sa rigueur d’une méthode de bon sens, et l’appel fortement ancré par les fondateurs catholiques à s’appuyer sur la Grâce.