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Entretien avec J. F. Poisson

Jean-Frédéric Poisson est ancien député et président du mouvement VIA (la voie du peuple). Adversaire farouche de la légalisation de l’euthanasie qu’il a déjà eue à combattre à l’Assemblée nationale, il publie un ouvrage très instructif aux éditions Mame Soins palliatifs, la vraie alternative à l’euthanasie, plaidoyer pour une alternative à «l’introduction du droit de tuer». C’est avec grand plaisir que nous l’accueillons dans ce numéro de Famille d’abord.

Qu’est-ce que les soins palliatifs ? Y trouve-t-on la voie médiane entre acharnement thérapeutique et euthanasie ? En quoi le développement de ces unités pourrait-il constituer une véritable alternative à l’euthanasie ?

Pour commencer, il est nécessaire de rappeler que les soins palliatifs font partie des droits des patients. La Société française d’Accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) propose une définition de cette pratique : «Les soins palliatifs sont des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave, évolutive ou terminale. L’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle

Je pense qu’il y a effectivement dans les soins palliatifs une voie alternative qui évite les deux écueils que vous évoquez : l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, puisqu’il s’agit de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle, en bref, d’avoir une vision intégrale de la personne humaine sans succomber à la facilité de l’euthanasie. Il s’agit d’une véritable alternative dans le sens où ces ultimes soins rendent bien souvent obsolète la volonté de recourir à l’euthanasie lorsque le malade est la victime d’une maladie incurable. Les professionnels de santé savent ainsi qu’une grande majorité de malades cessent de demander la mort lorsque les hôpitaux mettent en place un accompagnement adapté. Et c’est tout à l’honneur de notre civilisation de placer cette approche du patient en fin de vie au-dessus d’autres pratiques qui ébranleraient notre socle anthropologique.

Cette demande de légalisation de l’euthanasie qui n’est pas nouvelle, de quoi est-elle le signe ? Est-ce la rançon des progrès de la médecine ?

Il est probable que les progrès de la médecine et la volonté croissante de guérir ont conduit nos sociétés à considérer le «simple» accompagnement comme une forme d’échec ou du moins comme une dimension médiocre –pour ne pas dire inutile– de l’activité médicale. Cette considération, je pense, va de pair avec cette volonté croissante de légaliser l’euthanasie, vue comme la seule manière d’échapper à la souffrance et à la solitude.AdobeStock 230294980 R

Au-delà de ces sentiments, la promotion de l’euthanasie est également le résultat d’un appétit de puissance qui ne sera jamais assouvi chez les progressistes : ceux-ci souhaitent constamment dominer la nature, décider de la vie et de la mort, maîtriser ce qui échappe à la condition humaine et qui fait normalement toute sa noblesse. Il faut allier à cela les intérêts économiques et financiers qui sont sous-jacents à cette légalisation et qui croissent sans arrêt dans une société où la recherche du profit et de la performance est devenue le mètre étalon, la norme suprême, à laquelle toutes les autres considérations doivent se soumettre.

La légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie est-elle inéluctable ? Comment estimez-vous la capacité de résistance de nos parlementaires ?

Rien n’est inéluctable. Nous avons effectivement un précédent fâcheux en matière de légalisation de l’euthanasie, c’est l’adoption par l’Assemblée nationale de l’article premier de la proposition de loi déposée par Jean-Louis Touraine qui visait justement à légaliser «l’aide à mourir». Dans la mesure où la composition de l’Assemblée nationale n’a pas changé fondamentalement sur ce genre de question depuis 2021, on ne voit pas très bien comment celle-ci pourrait s’opposer à cette légalisation aujourd’hui. Pourtant, il y a eu entre-temps une tribune du Figaro, signée par 800 000 soignants représentant treize organisations, pour rejeter la pratique de l’euthanasie considérée comme «incompatible avec le métier du soin». Cela peut peser dans l’avis des députés que nous devons pousser à faire davantage confiance aux professionnels. Dans ce but, nous devons donner davantage la parole au personnel soignant en soins palliatifs dans nos médias, nos associations, sur les plateaux de télévision... À nous d’ouvrir les yeux de nos compatriotes pour qu’ils soient chaque jour plus nombreux à rejoindre le combat pour la vie et à influencer les parlementaires.

Dans votre ouvrage, les lecteurs découvriront l’histoire des soins palliatifs à travers les figures de héros comme saint Camille de Lellis, Jeanne Garnier et bien d’autres. Quels conseils donneriez-vous aux catholiques engagés d’aujourd’hui que sont les lecteurs de Famille d’abord  ?

Il faut d’abord et avant tout convaincre nos concitoyens : ils sont trop nombreux à ne pas connaître l’alternative des soins palliatifs et à penser que l’euthanasie est la seule solution qui permettra de mettre un terme à la douleur et à la solitude des patients en fin de vie. Ils doivent comprendre, peu à peu, que le vrai progrès consiste à prendre soin de l’homme jusque dans les difficultés, à l’accompagner sans acharnement thérapeutique et en respectant sa dignité avant toute considération sentimentale, économique ou sociale. Cette compréhension passe par notre investissement, que nous travaillions en politique, dans le journalisme, dans les associations ou que nous soyons de simples citoyens. Les lignes peuvent bouger mais elles ne le feront pas si nous n’allons pas au contact des autres, si nous restons dans une bulle hermétique au reste de nos compatriotes, que nous n’osons battre le pavé inlassablement. Il faut donc multiplier les initiatives en ayant en tête que, plus nous nous rapprocherons de l’échéance parlementaire, plus l’euthanasie sera matériellement possible dans le cerveau de nos contemporains : il y a un gouffre entre le fait d’être théoriquement «en faveur» de l’euthanasie, puis d’en voir l’aboutissement concret sous nos yeux. Cet aboutissement peut provoquer une prise de conscience positive si nous savons l’accompagner.

Il y a de nombreuses associations qu’il nous faut soutenir ; j’en citerai seulement trois mais cette liste n’est pas exhaustive : «Nos mains ne tueront pas», «Soulager mais pas tuer» et «Alliance Vita» qui fait un travail d’information formidable. À cela, il faut ajouter les bénévoles qui travaillent pour accompagner les patients en fin de vie pour pallier les carences de l’État. Je pense notamment à la «Société française d’accompagnement des soins palliatifs» et à «Visitatio – Voisins & Soins». Il est également possible d’écrire à son député, en conservant évidemment un ton respectueux et courtois car l’inverse est bien souvent contre-productif. Les élus sont bien plus sensibles aux avis de leurs administrés qu’on ne le pense ! En tant que catholique engagé, il est également possible d’écrire aux évêques qui peuvent faire entendre leur voix sur ce sujet-là. À titre d’exemple, monseigneur Rougé, évêque de Nanterre a pris récemment position sur la fin de vie. Les évêques du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France ont également rédigé une déclaration en mars pour souligner le nombre encore trop important de déserts palliatifs en France. Tous les canaux doivent être sollicités : cette loi qui prétend légaliser le droit de tuer au nom d’une «dignité» dévoyée n’est pas une fatalité. C’est un appel à l’action.