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Traditionis Custodes, Rome enfonce le clou

La Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, en la personne de Mgr Arthur Roche, a publié le 18 décembre 2021 une réponse à onze questions sur la manière d’appliquer le Motu Proprio Traditionis Custodes (Responsa ad Dubia). Un texte officiel approuvé par le pape, qui balaie l’espoir d’une lecture souple du Motu Proprio par les évêques diocésains. A moins que...

Rester attaché à la liturgie « traditionnelle » va à l’encontre de la communion ecclésiale

Dans sa lettre d’accompagnement, Mgr Roche est très clair : au concile Vatican II « les pères conciliaires ont ressenti l’urgence d’une réforme afin que la vérité de la Foi célébrée apparaisse toujours plus dans toute sa beauté ». Cette réforme est irréversible et la refuser va de soi à l’encontre de la communion ecclésiale « qui s’exprime en reconnaissant dans les livres liturgiques promulgués par les saints pontifes Paul VI et Jean-Paul II, […], l’unique expression de la lex orandi du rite romain ». Autrement dit la liturgie « traditionnelle » ne peut plus être considérée comme forme légitime du rite romain car elle ne traduit pas en rites liturgiques la Tradition « vivante » de l’Eglise exprimée par le concile Vatican II. Un petit coup d’œil à gauche dans la revue Golias1 éclaire encore la position romaine. L’abbé François-Xavier Amherdt2 y parle au nom d’un groupe de théologiens de la liturgie : « Le problème constitué par la coexistence des deux expressions du rite romain est véritablement théologique. Les deux formes ne se réclament pas de la même ecclésiologie, et il est donc très problématique de se situer pleinement au sein de l’Eglise catholique romaine sans accepter pleinement Lumen Gentium (sur l’Eglise), Dignitatis Humanæ (sur la liberté religieuse) et Nostra Ætate (sur le dialogue interreligieux) »3. Pour Rome la liturgie traditionnelle est le témoin d’une Tradition arrêtée dans le temps. Accepter en principe les enseignements de Vatican II ne suffit pas, il faut encore les vivre à travers la liturgie. Ne pas le faire est un acte qui va de soi contre la communion ecclésiale et l’unité de l’Eglise.

De la théorie à la pratique : l’ancienne messe doit disparaître

Après les discours rassurants de nombreux cardinaux et évêques, on aurait pu penser que l’intention du pape n’était pas d’abroger définitivement l’ancien missel mais simplement d’en recadrer l’usage. Difficile de croire encore à cette interprétation après la publication des réponses ad Dubia par Mgr Roche. Traditionis Custodes était censé passer la main aux évêques mais la lecture qu’en donne la Congrégation pour le Culte divin les transforme de fait en simples exécutants. Tout prêtre, pour continuer à dire la messe selon l’ancien missel, doit en demander la permission à l’évêque. Cette autorisation est nominative et individuelle, elle ne vaut donc pas pour un prêtre remplaçant. Elle n’engage que l’évêque qui la donne, elle ne vaut donc que dans son diocèse. Elle peut être donnée ad tempus (pour un temps) et c’est même un conseil ! Cela permettra de vérifier que le prêtre accepte bien les enseignements de Vatican II et la concélébration dans le nouveau rite4. Lors d’une messe solennelle, les ministres sacrés (diacre et sous-diacre) devront aussi bénéficier de l’autorisation de l’évêque. Aucune publicité ne devra être faite dans les paroisses pour la messe traditionnelle. Si aucun autre lieu n’est disponible, l’évêque pourra permettre sa tenue dans une église paroissiale (après consultation de Rome) mais elle ne devra pas paraître dans les annonces paroissiales. Si un prêtre a déjà dit une messe quel qu’en soit le rite, il ne lui sera pas permis d’en dire une deuxième (biner) selon l’ancien rite, même pour un groupe particulier : il n’y a pas pour cela de juste cause, ce groupe peut aller à la nouvelle messe !messe pontificale solennelle celebree selon traditionnel basilique Saint Pierre Vatican Italie 16 septembre 2017 0

Le mot « autorisation » est doux mais celui de « dispense » serait plus précis. Pour dire la messe de saint Pie V, il faut désormais une dispense qui ne peut affranchir personne de la loi générale. Dans ces conditions, l’usage exclusif de la messe « de saint Pie V » semble exclu de facto. Quel célébrant obtiendra cette dispense lorsqu’il ira en vacances rendre visite à ses parents ? lorsqu’il participera à un pèlerinage ou à un événement où de nombreux autres prêtres sont déjà présents ? Et Rome ne s’arrête pas là.

Interdiction de dispenser les sacrements selon l’ancien rite

Au-delà des précisions sur l’usage du missel traditionnel, les réponses ad Dubia réservaient une surprise qui a fait l’effet d’une bombe : l’autorisation de l’évêque ne concerne que la messe et non les autres sacrements. Le Rituale Romanum d’avant 1970 n’est plus en vigueur et seul le rituel réformé par Paul VI peut être utilisé. L’évêque peut accorder à ce sujet une autorisation particulière uniquement pour les paroisses personnelles (il n’y en a que 6 en France, et le Motu Proprio interdit d’en fonder de nouvelles) ; et cette autorisation ne pourra concerner ni la Confirmation ni le sacrement de l’Ordre, qui devront toujours être dispensés selon le nouveau rite. Le piège se referme : les enseignements de Vatican II acceptés dans les principes, les prêtres ordonnés selon le nouveau rite pour dispenser les sacrements nouvelle mouture, la messe traditionnelle accordée sur dispense uniquement pour desservir des groupes particuliers… que reste-t-il de la Tradition ?

Les communautés « Ecclesia Dei » non concernées ?

La Fraternité Saint Pierre et les Dominicains de Saint Vincent Ferrier ont réagi en se déclarant non concernés par le Motu Proprio et les réponses ad Dubia ou dans l’impossibilité de les appliquer5. Instituts de droit pontifical, ils bénéficient de statuts propres qui prévoient l’usage habituel de la liturgie traditionnelle. Mais des groupes particuliers peuvent-ils se soustraire à une loi générale, quand elle prévoit d’être « observé[e] dans toutes ses parties, nonobstant toute chose contraire, même digne de mention particulière »6 ? En l’absence d’un complément de loi organisant explicitement cette exception, on ne peut le présumer et Mgr Roche répond immédiatement non7. Un affrontement pourrait s’en suivre mais au nom de quoi résister ? Un charisme propre ? Et surtout, comment le faire sans évêque ? Qui osera ordonner des prêtres ou donner la Confirmation selon le rite traditionnel contre la volonté de Rome ? On peut tourner le problème dans tous les sens, l’attachement à la liturgie traditionnelle ne peut être réduit à une question de droit. C’est avant tout une question de fait8 : la réforme liturgique de Paul VI ne peut être acceptée car elle traduit une ecclésiologie qui va à l’encontre de la Tradition bimillénaire de l’Eglise. On doit alors s’en tenir à la loi antérieure et refuser que cohabitent juridiquement deux réalités incompatibles. En outre, on ne peut défendre comme un charisme propre ce qui constitue le bien commun de toute l’Eglise : la liturgie traditionnelle n’est en aucune façon un privilège personnel.

1988, opération Survie

C’était l’avis de monseigneur Lefebvre, qui disait le 30 juin 1988, au moment de sacrer quatre évêques sans mandat pontifical : « il est clair que pour le Vatican, la seule vérité qui existe aujourd’hui, c’est la vérité conciliaire, c’est l’esprit du concile, c’est l’esprit d’Assise. […] C’est pourquoi, constatant cette volonté ferme des autorités romaines actuelles de réduire à néant la Tradition et de ramener tout le monde dans cet esprit de Vatican II et cet esprit d’Assise, nous avons préféré nous retirer, évidemment, et nous dire : nous ne pouvons pas, c’est impossible. […] Mes bien chers frères, vous savez bien qu’il ne peut y avoir de prêtres sans évêque. […] beaucoup de séminaristes se sont confiés à nous, ont senti qu’il y avait là la continuité de l’Eglise, la continuité de la Tradition et donc sont venus dans nos séminaires, malgré les difficultés qu’ils ont rencontrées, pour recevoir une véritable ordination sacerdotale et pour pouvoir offrir le vrai sacrifice du calvaire, le vrai sacrifice de la messe et vous donner les vrais sacrements, la vraie doctrine, le vrai catéchisme. […] Alors je ne puis pas, en conscience, laisser ces séminaristes orphelins et je ne peux pas,vous non plus, vous laisser orphelins en disparaissant sans rien faire pour l’avenir. Ainsi, je crois qu’avec la grâce du Bon Dieu, nous aurons dans cette consécration – monseigneur de Castro Mayer et moi-même –, donné les moyens à la Tradition de continuer […]. »

Plus de 30 ans plus tard, l’acte courageux de Mgr Lefebvre permet toujours à la Tradition de continuer sans faille, car il appartient bien en propre à l’évêque de la défendre et de la transmettre. D’évidence, monseigneur Lefebvre a donné à la Tradition de véritables gardiens.

Mi-février, à rebours des positions exprimées par son texte initial, le pape François a publié un décret10 semblant démentir dans la pratique ses affirmations doctrinales et disciplinaires. Mais jusqu’à quand vaudra cet assouplissement dérogatoire et restreint ? Jusqu’à quel revirement ? La question reste posée.


  1. Revue catholique contestataire de gauche.
  2. Professeur de théologie à l’université de Fribourg (Suisse).
  3. Abbé François-Xavier Amherdt, Golias-édition du 23/07/2021.
  4. Accepter de concélébrer lors de la messe chrismale est une condition sine qua non pour pouvoir continuer à bénéficier de l’autorisation de l’évêque.
  5. Fraternité Saint Pierre, communiqué du 19/12/2021. Dominicains de Saint Vincent Ferrier, message de Noël du 23/12/2021.
  6. Motu Proprio Tradionis Custodes, article 8.
  7. Entretien de Mgr Roche avec Edward Pentin pour le National Catholic Register, 22/12/2021
  8. A ce sujet on peut lire avec profit l’article de l’abbé Daniele Di Sorco intitulé L’« Indult perpétuel » de saint Pie V, Suffit-il de s’appuyer sur la bulle Quo primum tempore pour continuer à célébrer la messe traditionnelle ? dans le Courrier de Rome n° 648 disponible sur le site www.courrierderome.org
  9. Mgr Lefebvre, sermon du 30 juin 1988 lors des sacres de quatre évêques pour la Fraternité Saint Pie X. 
  10. https://www.fssp.fr/2022/02/21/communique-officiel- de-la-fraternite-sacerdotale-saint-pierre-2/