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Praedicate Evangelium, pour une Eglise synodale "en sortie"

Par sa constitution apostolique Prædicate Evangelium (Prêchez l’Evangile) du 19 mars 2022, le pape François achève sa réforme de la Curie romaine, initiée au début de son pontificat. Sans se livrer à une analyse approfondie de la réforme, on peut en tirer les traits principaux pour en discerner le fond.

Une réforme à l’origine étonnanteLa predication de st Etienne detail Carpaccio Vittore r

La réforme de la Curie romaine par le pape François trouve son origine… avant même son élection au souverain Pontificat. Des mots mêmes de Mgr Mellino lors de la conférence de présentation du 22 mars 2022, la réforme s’est faite «en vertu du mandat et des indications précises que les Congrégations générales, tenues dans les jours précédant le Conclave, avaient spécifiés pour le nouveau Pontife à élire». Comme si le Souverain Pontife n’était que le représentant élu des évêques, agissant en vertu d’un mandat de délégué. De fait, le pape n’a pas tardé à agir, puisque qu’un mois seulement après son élection, il instaurait le fameux conseil des cardinaux (C9, devenu depuis C6), pour l’aider dans le gouvernement de l’Eglise universelle et travailler avec lui à la réforme de la Curie romaine. Parmi ces cardinaux, on notera la présence du cardinal Reinhardt Marx.

La synodalité en leitmotiv

La collégialité est un enseignement central du concile Vatican II. Décrite dans la constitution Lumen Gentium aux n° 21 et 22, elle consiste à reconnaître à côté du pape un autre détenteur du pouvoir suprême sur l’Eglise universelle : le collège des évêques unis au pape. Les novateurs justifiaient cette doctrine en affirmant que les évêques ne tiennent pas leur pouvoir de juridiction du pape mais directement de leur sacre épiscopal. C’est dans cette logique que Paul VI a institué en 1965 le Synode des évêques, organe consultatif permanent qui se réunit périodiquement pour discuter des sujets majeurs. Prædicate Evangelium fait de la synodalité une dimension constitutive de l’Eglise, qu’il décrit comme "peuple de Dieu en chemin". Cette notion est centrale car, sans nier la structure hiérarchique de l’Eglise, elle en modifie profondément le sens. La hiérarchie n’a plus vocation à diriger en montrant la voie mais à être à l’écoute des inspirations de l’Esprit-Saint qui se manifeste dans son peuple pèlerin. Le rôle de la Curie romaine s’en trouve profondément modifié.

Au service de la communion

La Curie n’est plus l’organe de gouvernement par lequel le pape exerce son pouvoir suprême sur toute l’Eglise mais un organe de service au pape et aux évêques. Elle n’est pas là pour exercer un pouvoir mais pour être à l’écoute et favoriser la «coresponsabilité dans la communion». «Précisément parce qu’elle est un instrument au service de la communion, la Curie romaine [….] est en mesure de recueillir et d’élaborer la richesse des meilleures initiatives et des propositions créatives en matière d’évangélisation mises en œuvre par les différentes Eglises particulières, par les Conférences épiscopales et par les structures hiérarchiques orientales, ainsi que la manière d’agir face aux problèmes et aux défis, favorise et promeut l’échange d’expériences entre les différentes Eglises particulières et réalités ecclésiales, remplissant ainsi non pas un simple service administratif et bureaucratique mais servant et augmentant la communion.1»

Au service de l’évangélisation

Le titre de la constitution (Prêchez l’Evangile) est significatif. Prêcher l’Evangile devient la première et la plus importante mission de l’Eglise. On entend par là l’activité missionnaire, «l’Eglise en sortie», thème si cher au pape. Car évangéliser, pour le pape François, c’est avant tout sortir à la rencontre pour enrichir les autres des lumières du Saint Esprit et s’enrichir soi-même des semences du Verbe présentes dans toutes les cultures du monde. Et le salut des âmes ? On n’en parle pas car la fin de l’évangélisation c’est avant tout la communion du peuple de Dieu en marche, la civilisation de l’amour si chère à Jean-Paul II.

On se targuera de ne pas mettre la foi au second plan. Mais en pratique, le nouveau dicastère pour l’évangélisation (le seul à être présidé par le pape lui-même) est placé en tête des 16 dicastères de la Curie, devant celui pour la doctrine de la Foi.

Les laïcs au pouvoir

Qui aura lu les derniers textes du pape François aura compris que le cléricalisme est, à son point de vue, responsable de tous les maux de l’Eglise. Par cléricalisme, on entend l’idée d’associer le sacerdoce à une quelconque notion de pouvoir. Selon lui la solution se trouve dans le principe de subsidiarité, qu’il applique en réservant aux prêtres ce qu’il estime être propre au caractère sacerdotal (la célébration des sacrements de l’Eucharistie et de Pénitence). Dans l’absolu, tout le reste peut donc être confié aux laïcs, y compris aux femmes, dont le pouvoir de gouvernement. A cette fin, Prædicate Evangelium ne parle plus de «congrégation» de la Curie mais de «dicastère» : changement de vocabulaire qui met en valeur l’ouverture de la Curie aux laïcs. Désormais tout laïc, homme ou femme, pourra non seulement faire partie d’un dicastère mais encore le présider, ce qui consiste à leur confier un pouvoir de juridiction. Et le père Ghirlanda justifie cette mesure en précisant que «le pouvoir de gouvernance dans l’Eglise ne vient pas du sacrement de l’Ordre mais de la mission canonique.»

On justifie la collégialité en affirmant que la juridiction de l’évêque vient du sacrement de l’ordre et non de la délégation du pape (Lumen Gentium) et on justifie l’entrée des laïcs dans la gouvernance de l’Eglise par la thèse inverse, le tout dans la sérénité la plus totale.

Les fruits de la synodalité

La réforme de la Curie arrive à point, le synode des évêques devant justement se réunir en octobre 2023 sur le thème de… la synodalité ! Tout sauf une coïncidence, puisque ce thème restera comme le fil rouge du pontificat du pape François. Et voilà notre Curie soi-disant armée pour favoriser la communion au milieu de tous ces organes collégiaux (synodes, conférences épiscopales, Eglises particulières, Unions régionales etc.). Mais pour quels fruits ? Question légitime quand on sait toutes les dérives du Chemin synodal initié en Allemagne par le cardinal Marx, membre éminent du Conseil des cardinaux chargé de mener la réforme et d’assister le pape dans le gouvernement de l’Eglise universelle. Cardinal qui déclarait le 30 mars 2022 : «le catéchisme n’est pas gravé dans le marbre. On peut aussi douter de ce qu’il dit», en ajoutant que «l’homosexualité n’est pas un péché». Or, ni le Chemin synodal, ni le cardinal Marx n’ont eu à subir la moindre inquiétude de la part de Rome. A n’en pas douter, la synodalité et la réforme de la Curie romaine sont plus proches de provoquer un schisme dans l’Eglise catholique que de favoriser la communion.


1. Mgr Mellino, conférence de présentation de la réforme de la Curie Romaine, 22/03/2022.