Parents / profs : accordez votre honneur !
Parce que leur autorité respective s’exerce sur les mêmes sujets, parents et professeurs s’opposent fréquemment. Dans ce tribunal, à qui donner l’avantage ?
Peut-être, vient-il à l’idée de renvoyer dos à dos les adversaires, et de prononcer la sentence suivante : « en matière d’instruction et de formation de l’intelligence, l’autorité professorale s’impose et les parents s’inclinent ; pour le reste, que les professeurs respectent la direction choisie par l’autorité parentale. »
Or, une telle solution de facilité ne résout en rien le problème parce que, s’il est possible de distinguer entre l’élève et l’enfant, il serait absurde de vouloir séparer l’un de l’autre : il s’agit de la même personne. Vouloir ainsi séparer intelligence et vie relève de la schizophrénie. Cette utopie ne résistera pas aux faits et le conflit, loin de s’apaiser, ne fera que s’enliser parce qu’enseignement et éducation ne sont pas séparables. Le professeur est un éducateur. Et de leur côté, les parents qui éduquent leurs fils et leurs filles ne feront jamais l’impasse sur la formation intellectuelle.
En réalité, le problème est mal posé. Il ne s’agit pas d’arbitrer le jeu d’influence de deux autorités concurrentes, mais de comprendre que parents et professeurs sont des acteurs différents et complémentaires d’une œuvre qui les dépasse. L’harmonisation s’inscrit dans un ordre supérieur et il faut pour le comprendre remonter à Dieu même, au « Père, de qui toute paternité au ciel et sur la terre tient son nom »1.
C’est lui, principe unique de vie et de perfection, qui communique leur être à ses créatures et les conduit à la fin pour laquelle il les a créées. Par conséquent, l’éducation est principalement son œuvre. Les hommes ne font qu’y collaborer, investis à cet effet de sa puissance et de son autorité, dans les deux ordres naturel et surnaturel : « A la famille, il communique la fécondité ainsi que l’autorité, principe d’ordre.2» Et puisque « tous les hommes sont appelés à entrer dans le royaume de Dieu et à obtenir le salut éternel3», Dieu confère à l’Eglise, pour les y conduire, une « maternité spirituelle par laquelle elle engendre, nourrit et élève les âmes dans la vie divine de la grâce, par ses sacrements et son enseignement4».
Dans cette perspective, s’impose une profonde unité de vue et d’action entre les familles et les œuvres éducatives conçues par l’Eglise. La surnature ne se calque pas artificiellement sur la nature, mais l’ennoblit et la surélève en la proportionnant à une fin d’ordre supérieur ; la même harmonie doit aussi souder l’éducation des parents et celle que dispensent les écoles et institutions tenues par l’Eglise. Cette harmonie tire donc sa nécessité du principe unique de toute autorité, mais également de l’unité de l’objectif : conduire à Dieu l’homme créé pour Dieu. Tout travail éducatif est essentiellement subordonné à cette fin. C’est la raison pour laquelle, même lorsque l’école n’est pas directement œuvre d’Eglise, mais fondée par exemple à l’initiative de familles, la même harmonie demeure nécessaire. L’école n’est qu’une institution auxiliaire de la famille ou de l’Eglise. C’est par délégation qu’elle accueille et qu’elle éduque : elle doit donc s’harmoniser elle aussi. Là se trouve le fondement de l’entente entre les parents et les professeurs.
A ces raisons s’ajoute un troisième fondement à l’harmonie : c’est l’unité du sujet qui reçoit l’éducation. Si les influences humaines s’exercent de concert, l’enfant s’épanouit dans un milieu homogène et n’a pas de peine à découvrir la fin pour laquelle il a été créé ; intelligemment guidé, il fait chaque jour un meilleur usage de sa liberté. Mais que l’un de ces instruments sonne faux, et que la dysharmonie s’installe, alors l’enfant chancelle et bascule du côté de la facilité où l’entraîne sa nature déchue. La voix de Dieu se fait entendre avec moins de puissance, les sirènes du monde la couvrent de leur charme trompeur. Spectateur de ces désaccords, l’enfant s’ingénie à dresser l’une contre l’autre ces autorités auxquelles il parvient de plus en plus à échapper pour agir à sa guise. Et c’est le temps de l’autonomie, où il n’a plus d’autre règle que sa volonté propre : les autorités qui s’exerçaient sur lui sont devenues impuissantes, et n’ont plus qu’à déplorer l’échec de la mission qu’elles avaient reçue de Dieu, faute d’avoir su s’accorder dans une œuvre qui n’était pas d’abord la leur.
Unité du principe, unité de la fin, unité du sujet, tel est le triple fondement sur lequel s’établit la nécessité si importante d’une harmonieuse coordination entre les différents éducateurs humains. Parents, professeurs, aimons à contempler la splendeur de la mission confiée, et l’honneur que nous recevons dans cette vocation si sublime : travailler à l’éducation des fils de Dieu. Ne nous approprions pas cet honneur, mais rivalisons d’efforts pour nous en montrer dignes, accordant nos influences respectives pour la plus grande gloire de celui qui nous emploie à son service. Chacun à sa place, contribuera alors véritablement au « sanctuaire unique de l’éducation chrétienne5»
Abbé Marquejan
1 - Eph. 3, 14 2 - Jac. 1, 17 3, 4, 5 - Pie XI, Divini illius magistri