Inversion des rôles et questionnement face à l'inconnu du grand âge
Une étape particulièrement douloureuse de la vieillesse est celle où les rôles parents/enfants viennent à s’inverser… Parents comme enfants se retrouvent bien souvent démunis l’un et l’autre le jour où c’est au fils d’accompagner son père dans ses déplacements, de lui rappeler ce qu’il a à faire et parfois de devoir pallier ses déficiences jusque dans une aide très concrète comme le nourrir ou l’habiller. Il n’est pas rare que des familles qui se voient contraintes de faire entrer leur parent en maison de retraite se retrouvent tout à fait désemparées ; on les entend souvent dire qu’elles n’y sont pas préparées…
La vie entière est une succession de deuils, car « vivre, c’est choisir, et choisir, c’est sacrifier quelque chose » (Père G. Courtois). Cependant, à l’arrivée de la vieillesse, les deuils ne sont plus accompagnés de projets. Bien au contraire, comme le disait un patient apprenant le décès d’un voisin de chambre : « C’est toute ma jeunesse qui s’en va » ; et pour celui qui n’a pas l’espérance de la vie éternelle, rien n’est plus malheureux que la vieillesse car la vie humaine n’a alors plus de sens.
En effet, lorsqu’un jeune quitte la maison paternelle, il a certes un deuil de l’enfance à opérer, mais une nouvelle page de sa vie commence de s’écrire et les suivantes s’enchaîneront tout au long des années : les études, les projets professionnels, les choix de vie… Autant de pages qui composent le livre enthousiaste de la vie…
Lorsque la vieillesse arrive, les pages se sont tournées les unes après les autres et celle sur laquelle le livre reste ouvert semble parfois noircie jusqu’en bas ; sans que le Seigneur en offre une nouvelle... car le livre s’achève.
Si alors une entrée en institution survient, il faut faire le deuil suprême de son indépendance, de son chez-soi, et la personne sait que la maison dans laquelle elle rentre, si bonne soit-elle, sera sa dernière demeure ici-bas. Comme l’écrivait une religieuse âgée à propos de ses diverses mutations « et pour la demeure éternelle…quand Dieu voudra ! »
La vieillesse s’habille alors de deuil ; il ne faut pas s’étonner que la personne âgée traverse jour après jour les différentes étapes décrites par Elisabeth Kubler-Ross : déni, colère, marchandage, dépression et acceptation.
- Dans un premier temps, il n’est pas rare d’observer une sorte de déni du vieillissement, refusant l’aide, cherchant à dissimuler oublis ou maladresses ;
- une certaine révolte et agressivité peuvent alors exprimer la colère qui découle face à ces obstacles invaincus ;
- après avoir constaté l’inutilité de la colère, la négociation apparaît : c’est l’étape du marchandage ; à ce palier, la personne essaie de gagner du temps, de retarder le moment où elle devra accepter sa dépendance ;
- l’impression de « noyade » et la perte des anciens repères sont propres à la période de dépression. En effet, quand la réalité fatidique s’impose, la personne tombe dans le désespoir en raison d’une forte sensation d’impuissance ;
- enfin, on remarque une avancée, comme une construction personnelle au moment de l’acceptation.
Ces étapes sont variables en durée et en intensité selon les sujets mais généralement observables dans tout travail de deuil. Bien sûr, la vie spirituelle et la pratique de la vertu permettent de diminuer les déséquilibres engendrés par ce processus ; mais savoir identifier ces états et les comprendre à la lumière de la psychologie permet de comprendre un peu la souffrance que peut vivre une personne âgée et de l’accompagner au mieux.
Il est important aussi de différencier l’indépendance qui est la possibilité de réaliser soi-même ce que l’on sait être bon pour nous, et l’autonomie, capacité à savoir ce que l’on veut et ce qui est bon, sans pour autant avoir les capacités physiques de l’exécuter. Il est bien sûr capital de continuer à favoriser cette dernière, même et surtout lorsque la personne devient dépendante de son entourage pour la vie quotidienne.