Etre un prince chrétien... à sa place - Conclusion
Pour ce qui est des princes chrétiens au sens strict, voici quelques exemples historiques qui pourront servir de modèle et d’inspiration aux futurs chef d’Etat chrétiens : Constantin, Théodose, Charlemagne, saint Etienne de Hongrie, saint Henri d'Allemagne, saint Wenceslas de Bohême, saint Edouard d'Angleterre, saint Ferdinand de Castille et surtout saint Louis de France, qui peut être offert à tous les siècles comme la plus parfaite expression de la véritable royauté chrétienne, de la royauté selon l'Evangile. Plus récemment, plus proche de nous, Garcia Moreno.
Or, qu’avaient en commun tous ces chefs ? Et que nous apprennent-ils, à nous qui le sommes également, mais à plus faible niveau ? Pour bien comprendre l’aspect intemporel de leur réussite, il nous faut revenir à ce qui constitue le tout premier niveau d’autorité, le tout premier niveau d’influence que nous pouvons avoir. Ce niveau, qui conditionne la réussite de tout exercice de pouvoir, c’est l’influence et l’autorité que nous avons sur nous-même. Pour approfondir ce sujet, il faut lire L’âme de tout apostolat (dom Chautard), qui donne toutes les clés d’une telle autorité. Il développe tout simplement le thème de la vie intérieure, laquelle conditionne les actions que nous allons mener, et que nous pouvons rassembler sous l’expression « vie extérieure ». Si nous n’avons pas de vie intérieure, nous ne pourrons jamais influencer ou avoir une autorité profonde autour de nous : c’est non seulement une certitude, mais une évidence. Comme le dit dom Chautard, on ne peut pas donner ce qu’on n’a pas. Aristote (384-322 av. J.-C.) et l’homme d’Etat et législateur athénien Solon (vers 640-559 av. J.-C.), deux païens antérieurs au christianisme, l’avaient déjà dit. Aristote est très concret dans La Politique : «Celui qui doit commander dans la cavalerie, doit d’abord apprendre à obéir et à servir dans la cavalerie ; celui qui veut devenir chef d’Etat, doit d’abord apprendre à servir le bien commun ; celui qui aura appris à bien obéir, celui-là saura commander».
Pour nous, c’est presque pareil, à la seule différence que nous avons le moyen de parvenir à infiniment mieux. Pour donner beaucoup, il faut avoir beaucoup ; et pour donner du bien, il faut posséder le bien. Le véritable bien, celui qui est l’origine de tous les autres biens, c’est Dieu : donc, plus nous nous nourrissons de Dieu, plus nous l’invitons à vivre à l’intérieur de nous, plus nous allons être capable de le communiquer, et de renforcer son règne. Comprenons-le bien : s’il n’y avait qu’un élément à retenir de ce dossier, ce serait celui-là. Il est fondamental. La prière et la vie intérieure sont primordiales pour apprendre la maîtrise de soi, et il nous sera impossible de bien exercer une quelconque responsabilité ou même de servir le règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ à la plus petite des places, si nous ne sommes pas capables de nous diriger nous-mêmes, ou plutôt de laisser Dieu nous diriger en le laissant nous habiter complètement.
Conclusion
Pour terminer, laissons encore le cardinal Pie s’exprimer, car il a été surnaturellement visionnaire, et personne n’a mieux parlé que lui pour conclure un tel sujet :
« Luttons avec espérance, contre l'espérance même. Car je veux le dire à ces chrétiens pusillanimes, à ces chrétiens qui se font esclaves de la popularité, adorateurs du succès et que les moindres progrès du mal déconcertent. Ah ! Affectés comme ils sont, plaise à Dieu que les angoisses de l'épreuve dernière leur soient épargnées ! Cette épreuve est-elle prochaine, est-elle éloignée ? Nul ne le sait et je n'ose rien augurer à cet égard. Mais ce qui est certain, c'est qu'à mesure que le monde approchera de son terme, les méchants et les séducteurs auront de plus en plus l'avantage. On ne trouvera quasi plus de Foi sur la terre, elle aura presque complètement disparu de toutes les institutions terrestres. Les croyants eux-mêmes oseront à peine faire une profession publique et sociale de leurs croyances. La scission, la séparation, le divorce des sociétés avec Dieu, qui est donné par saint Paul comme un signe précurseur de la fin, "nisi venerit discessio primum", ira se consommant, de jour en jour. L'Eglise, société sans doute toujours visible, sera de plus en plus ramenée à des proportions simplement individuelles et domestiques. Elle, qui disait à ses débuts : Le lieu m'est étroit, faites-moi de la place où je puisse habiter : "Angustus mihi locus, fac spatium ut habitem", elle se verra disputer le terrain pied à pied, elle sera cernée, resserrée de toutes parts : autant les siècles l'avaient fait grande, autant on s’appliquera à la restreindre. Enfin, il y aura pour l'Eglise de la terre comme une véritable défaite, il sera donné à la Bête de faire la guerre avec les saints et de les vaincre. L'insolence du mal sera à son comble. Or, dans cette extrémité des choses, dans cet état désespéré, sur ce globe livré au triomphe du mal et qui sera bientôt envahi par les flammes, que devront faire encore tous les vrais chrétiens, tous les bons, tous les saints, tous les hommes de Foi et de courage ? S'acharnant à une impossibilité plus palpable que jamais, ils diront avec un redoublement d'énergie et par l'ardeur de leurs prières et par l'activité de leurs œuvres et par l'intrépidité de leurs luttes : "O Dieu ! O notre Père qui êtes dans les cieux, que Votre nom soit sanctifié sur la terre comme au ciel ; que Votre règne arrive sur la terre comme au ciel ; que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, – sicut in cœlo et in terra..." Sur la terre comme au ciel ! Ils murmureront encore ces mots et la terre se dérobera sous leurs pieds. Et, comme autrefois à la suite d'un épouvantable désastre, on vit tout le sénat de Rome et tous les ordres de l'Etat s'avancer à la rencontre du consul vaincu, et le féliciter de ce qu'il n'avait pas désespéré de la république ; ainsi, le sénat des cieux, tous les chœurs des anges, tous les ordres des bienheureux viendront au-devant des généreux athlètes qui auront soutenu le combat jusqu'au bout, espérant contre l'espérance même : "contra spem in spem". Et alors, cet idéal impossible, que tous les élus de tous les siècles avaient obstinément poursuivi, deviendra enfin une REALITE. Dans ce second et dernier avènement, le Fils remettra le Royaume de ce monde à Dieu Son Père, la puissance du mal aura été évacuée à jamais au fond des abîmes ; tout ce qui n'aura pas voulu s'assimiler, s'incorporer à Dieu par Jésus-Christ, par la Foi, par l'amour, par l'observation de la loi, sera relégué dans le cloaque des immondices éternelles. Et Dieu vivra et Il régnera pleinement et éternellement, non seulement dans l'unité de Sa nature et la société des trois personnes divines, mais dans la plénitude du corps mystique de Son Fils incarné et dans la consommation des saints !» (III, 527 à 529).
Adveniat regnum Tuum !