Gérer en bon père de famille
Lorsque Béatrice et Gérard se fréquentaient, il n’était jamais venu à l’idée de Gérard de réfléchir avec elle à la manière dont ils gèreraient leur budget une fois mariés. De toute façon, ils n’avaient pas d’argent… Après leur mariage, ils ne gagnaient pas beaucoup mais cela suffisait pour payer le loyer, les factures, l’essence et la nourriture. Pendant les premières années, ils n’avaient pas de problème d’argent, puisqu’ils n’avaient pas d’argent !
Aussi longtemps que vous acceptez ensemble de faire des sacrifices financiers pour atteindre un objectif donné (par exemple payer des études, acheter une maison) et aussi longtemps qu’il y a suffisamment d’argent pour payer les produits de première nécessité, vous ne risquez pas vraiment de vous disputer au sujet des finances.
Lorsque les ressources augmentent ou que le temps des efforts se prolonge, il n’est pas rare que ce sujet des finances devienne une source de tension dans le ménage. Chacun finit par avoir des idées différentes sur les achats à faire et le moment qui convient pour les faire.
Notre argent : construire l’unité
La première étape consiste à vous mettre d’accord sur le fait que vous ne parlerez plus de « mon argent » et de « ton argent », même si l’un des deux est le seul à avoir un revenu régulier. Le désir d’unité est au cœur du mariage « pour le meilleur et pour le pire ». Cela implique de partager vos revenus et de réfléchir à ce que vous voudrez faire de votre argent.
Commencez par savoir « où passe l’argent ? » en regroupant les dépenses selon les grandes catégories qui se gèrent différemment.
Puis déterminez ensemble quel pourcentage de vos revenus vous voudrez allouer à l’épargne, aux dons ou cadeaux et à vos dépenses courantes.
L’épargne
Il est sage d’abord, d’économiser 10 % de son revenu total. Cela permet de disposer d’une réserve en cas d’urgence, comme un accident de voiture, une grosse réparation ou un licenciement. L’épargne permet de mettre de l’argent de côté pour les achats importants comme une maison ou une voiture. Le moment venu, elle permet de préparer sa retraite. Épargnez dès vos premiers salaires et tant que les scolarités ne sont pas trop importantes !
Les dons
Ensuite, si les charges scolaires ne sont pas trop lourdes, on peut allouer 10 % aux dons, surtout lorsqu’on paye des impôts et que l’on peut défiscaliser jusqu’à 66 % du don. Donner, c’est exprimer notre reconnaissance pour ce que nous avons nous-même reçu. À ce titre, le soutien des prêtres et de l’Église est un devoir en remerciement des dons de la foi et de la grâce et pour aider à la propagation de la foi (denier du culte et quêtes, œuvres).
Les dépenses
Il faut distinguer :
- Dépenses programmées : le remboursement de l’emprunt pour la maison ou le loyer, les assurances, les charges (eau, électricité, chauffage…), les véhicules, les scolarités, les éventuels impôts, les abonnements...
- Fonctionnement courant : alimentation, habillement, déplacements, santé, loisirs…
- Investissements : ameublement, décoration, matériel et ustensiles pour les travaux ménagers, le bricolage...
À vous de décider des montants à allouer à chacun de ces postes. Plusieurs erreurs sont à éviter : des charges de logement trop élevées, des abonnements téléphoniques, Internet, magazines ou loisirs qui se cumulent (faites le total annuel !), un excès d’emprunts, des achats impulsifs.
Gardez un esprit de simplicité et de pauvreté : pourquoi de jeunes mariés devraient-ils avoir ce que leurs parents ont mis 10 ou 20 ans à se procurer (lave-vaisselle, deux voitures, canapé…) ? Pourquoi devriez-vous avoir le plus beau et le meilleur maintenant ? Avec une telle conception des choses, vous vous privez de la joie qu’il y a à obtenir un objet désiré après avoir attendu.
Pour éviter bien des problèmes, convenez entre vous que vous ne ferez jamais un achat important sans en parler d’abord à l’autre. Pour cela, précisez la somme à partir de laquelle vous estimez qu’un achat est important. 50 € ? 100 € ?
Qui tient les comptes ?
Décidez entre vous qui tiendra les comptes. Ce peut être différent selon les grandes catégories exposées ci-dessus et les compétences de chacun. Souvent, l’épouse est en charge au moins du fonctionnement courant et dispose d’un budget mensuel régulier qu’elle gère avec autonomie et responsabilité. Elle peut avoir un compte bancaire spécifique pour ce but.
Cependant, assurez-vous que celui qui ne tient pas les comptes est au courant de la situation financière de la famille et associé aux décisions. Vous formez une équipe, ne l’oubliez pas !
Lorsque vous pouvez économiser
Bien gérer notre argent est un devoir pour le bien commun de la famille. Nous devons imiter le bon serviteur de l’Évangile dans le domaine temporel, comme dans le domaine spirituel : le serviteur qui a gardé son argent dormant a été blâmé. Celui qui a doublé sa mise, de 5 à 10 talents, est félicité. Il a nécessairement investi son argent dans des affaires légitimes pour obtenir ce résultat. Ne laissons donc pas toutes nos économies dormir, l’inflation les grignoterait peu à peu.
Première priorité : la résidence principale
Lorsque notre vie est stabilisée, acheter sa résidence principale est une priorité : nous ne savons ni le jour ni l’heure de notre mort… Une épouse qui se retrouve brutalement veuve avec 3 ou 4 jeunes enfants, avec la perte des revenus du mari, sera plus en sécurité si elle n’a pas à payer son logement. Savez-vous que lorsque nous empruntons pour acheter, nous souscrivons obligatoirement une assurance décès ? En cas de décès, l’assurance rembourse la totalité de l’emprunt restant et la veuve devient donc pleinement propriétaire sans frais ! Empruntons donc au maximum raisonnable.
La finalité première est ici la sécurité de la famille. Ne nous inquiétons pas des fluctuations de l’immobilier : il ne monte pas toujours mais lorsque nous vendons pour racheter un autre bien, tout le monde est dans le même cycle de prix et personne n’est ainsi désavantagé. L’essentiel est de choisir un bien de qualité dans un environnement de qualité, donc revendable.
Motivations et objections à l’emprunt ?
Lorsqu’on achète un logement, l’emprunt est bon et nécessaire pour pouvoir acheter car il contribue à la sécurité de la famille en cas de décès. Pour un bien durable coûteux, comme une voiture, l’emprunt est également légitime si les taux sont modérés. Dans tous les cas, attention au surendettement !
En revanche, le crédit à la consommation est à proscrire. Le taux d’intérêt est souvent usuraire. Le taux des crédits renouvelables des banques ou des cartes de paiement est ainsi facilement à 18 % et masqué derrière des avantages de fidélité… Anticipons nos besoins pour ne pas collaborer à ces abus ! Le crédit à la consommation est souvent cause de problèmes en ménage : il est un signe qu’on se cache les difficultés ou les tentations.
Seconde priorité : valoriser son épargne
Comme le bon serviteur, nous devons investir notre argent dans l’économie réelle pour le faire fructifier.
Lorsqu’on n’est pas soi-même entrepreneur, gardons une épargne de sécurité sur un livret A ou autre, qui peut se débloquer en cas d’urgence.
Au-delà de cette précaution, celui qui peut économiser quelques centaines d’euros par an a intérêt à investir dans des actions. L’action est une part de propriété d’une société. L’actionnaire est rémunéré par des dividendes, qui sont une part des bénéfices. En outre, la valeur de l’action peut augmenter lorsque la performance et les perspectives de l’entreprise sont bonnes. Dans un portefeuille d’actions équilibré, en moyenne sur une période de 10 ans, le cumul des dividendes et des plus-values font doubler la somme investie. C’est bien mieux qu’un livret A !
Ces gains seront utiles pour constituer l’apport personnel nécessaire à l’achat immobilier ou pour les besoins futurs de la famille (scolarités, mariage des enfants, aide aux parents âgés).
Bien sûr, il faut investir dans des entreprises de qualité et placer à long terme – cinq ans au moins –sans paniquer en cas de fluctuation de la Bourse.
Si nous travaillons dans une bonne entreprise, utilisons au maximum les dispositifs d’épargne salariale investis en actions de l’entreprise. La somme que nous investissons est abondée (complétée gratuitement) par l’entreprise, ce qui augmente le gain.
Sinon, le mieux est de se faire aider par une société de gestion indépendante ou un conseil en gestion de patrimoine car c’est un métier compliqué de sélectionner les bonnes entreprises ! Prenons conseil de bouche à oreille et trouvons un acteur indépendant qui sera souvent plus efficace que les banques ou assurances qui gèrent en fonction de leur politique commerciale du moment, et non pas d’une connaissance personnalisée de notre situation.
Se méfier des rêves et rester dans le réel
Restons concrets dans l’économie réelle et méfions-nous des promesses trop brillantes telles que des rendements garantis ou des taux de gain trop élevés, des gains fiscaux, des placements immobiliers locatifs ou à l’étranger. Ce sont souvent des affaires spéculatives ou risquées.
L’investissement en immobilier locatif est à réserver à des biens proches de la résidence principale et à ceux qui ont épuisé les autres priorités. Il est souvent source d’ennuis : temps pour gérer et entretenir, risque sur les locataires, taxes très élevées sur les revenus et les successions.
Lorsque les charges familiales sont lourdes
Il est fréquent que les scolarités deviennent le premier poste budgétaire d’une famille nombreuse dès que les enfants arrivent au collège. Certains restent « dans le rouge » pendant plusieurs années.
Dans ce cas, n’hésitez pas à passer en revue les différents paramètres :
- Optimisation de vos dépenses : abonnements, usage de vêtements et objets de seconde main, bons plans alimentaires (surplus des commerçants…), associations d’entraide.
- Bourses pour les scolarités, aides directes ou indirectes de parents, parrains/marraines ou amis. Voir s’il est possible d’étaler les paiements et finir de rembourser après que votre enfant a quitté l’école, ou de fournir une « aide en nature » régulière… Pas d’orgueil mal placé ! Il faut accepter de se faire aider lorsque c’est nécessaire au bien de la famille.
- Allocations et dispositifs de soutien de l’état, des régions ou communes (elles sont nombreuses, ne rechignons pas devant la bureaucratie éventuelle. Elles sont aussi faites pour votre famille !), des entreprises (« tickets restaurants », chèques-vacances…).
- Certains travaux rémunérés peuvent être faits par l’épouse pendant les horaires d’école des enfants pour éviter un travail à temps plein plus pénalisant pour la vie de famille, quoique parfois nécessaire.
- Si vous n’avez pas l’habitude, demandez conseil à un ménage de trois à cinq ans plus expérimenté que vous.
Soyons volontaires mais raisonnables !
Le caractère raisonnable de nos efforts, des placements, comme des emprunts, dépend de leur nature, de leur objectif mais aussi de notre psychologie. Restons dans des limites qui nous conviennent pour ne pas devenir désagréables en ménage ou avec nos amis, ne plus penser qu’à l’argent et au succès, ou devenir inquiet. Une fois la décision prise, apprenons à nous détacher des évolutions instantanées et à accepter un certain risque.
La sagesse consiste à se rappeler en permanence les principes de saint Ignace dans ses exercices spirituels : l’homme doit en faire usage (des choses de la terre), autant qu’elles le conduisent vers sa fin (l’amour de Dieu et le Ciel) et il doit s’en dégager autant qu’elles l’en détournent.
Notre but doit être de favoriser le bien commun de la famille en améliorant sa sécurité, qui facilite la paix de l’esprit et en préparant son avenir de notre mieux – Aide-toi, le Ciel t’aidera – dans la confiance en la Providence de Dieu.
Position de l’Église sur les investissements
L’Église interdit la spéculation et l’abus de puissance (l’usure au sens de taux d’intérêts abusifs ou injustifiés). Mais compte tenu de l’organisation pratique de la société civile avec ses entreprises qui ont en partie remplacé l’artisanat individuel, l’Église permet l’investissement dans l’économie réelle, dans le respect des règles morales traditionnelles.
Le Code de Droit Canon régit les affaires de l’Église latine. Le Code de 1917 dit au n°1543 : Si une chose fongible est donnée à quelqu’un en propriété et ne doit être restituée ensuite qu’en même genre, aucun gain à raison du même contrat ne peut être perçu ; mais dans la prestation d’une chose fongible, il n’est pas illicite en soi de convenir d’un profit légal, à moins qu’il n’apparaisse comme immodéré ou même d’un profit plus élevé, si un titre juste et proportionné peut être invoqué.
Et Pie IX dans Quadragesimo Anno (1931) : « Il n’est pas interdit à ceux qui produisent d’accroître honnêtement leurs biens ; il est équitable, au contraire que quiconque rend service à la société et l’enrichit profite, lui aussi, selon sa condition, de l’accroissement des biens communs, pourvu que, dans l’acquisition de la fortune, il respecte la loi de Dieu et les droits du prochain, et que, dans l’usage qu’il en fait, il obéisse aux règles de la foi et de la raison. »