Paroles d'aventuriers
« Mon apprentissage n’a d’autre fruit que de me faire sentir combien il me reste à apprendre.» Michel de Montaigne
Après plusieurs expériences citadines, Claire et son mari ont choisi de s’implanter à la campagne pour offrir un cadre de vie authentique à leurs six enfants. L’opportunité d’un plus grand jardin fut l’occasion de concrétiser une idée qui avait germé chez Claire, lorsque plus jeune elle aidait ses grands-parents à désherber leur potager en admirant leurs récoltes. Même si un maraîcher voisin leur procurait déjà des légumes de bonne qualité, elle désirait transmettre à ses enfants ce souvenir du travail de la terre qui lui paraissait facile et agréable. Le temps du confinement fut l’occasion de leur apprendre à produire quelque chose d’utile : des légumes et des œufs de poules. Malgré toute sa motivation et une bonne organisation, elle constata après trois années d’essais mitigés que l’art du potager nécessite un « coup de main » qu’elle n’avait pu trouver dans le livre acheté à cet effet.
Après que le voisin eut arraché quelques arbres avec son tracteur, Claire disposa d’un joli coin de terre que son mari s’efforça courageusement de retourner. La première année fut assez encourageante : les enfants étaient ravis de l’aider à semer quelques graines de potiron, des oignons, des pommes de terre et des courgettes. Les enfants couchés, elle pouvait passer du temps au jardin avec son mari. Malgré 50 % d’échecs, ils purent déguster quelques légumes. L’année suivante fut très pluvieuse, les plants de tomates ne surent résister au mildiou et au retour des trois semaines de vacances, le potager avait triste mine. L’investissement de 70 € de plants n’avait pas été rentabilisé. Sans se décourager, Claire renouvela l’expérience une dernière fois mais elle ne vit jamais les fruits des fraisiers qu’elle avait bichonnés car les limaces et le petit dernier avaient dévoré les fraises encore vertes. De leur côté, les plus grands étaient déçus des faibles récoltes. Cependant, ils continuèrent à s’occuper consciencieusement du poulailler : nourrir les poules, ramasser les œufs et nettoyer la litière leur paraissait simple et ludique.
La reprise d’activité de son mari et le rythme intense des conduites d’école a contraint Claire à délaisser le potager mais la satisfaction des enfants est comblée par la floraison annuelle des bulbes de fleurs qu’ils ont plantés. Claire reste convaincue de la nécessité d’une alimentation authentique dont elle puisse contrôler la qualité puisque fournie localement. Elle continue à faire elle-même son pain qui se conserve bien mieux et qu’elle considère meilleur pour la santé. Si elle n’abandonne pas l’idée de produire des légumes dans son jardin, elle constate qu’à défaut d’être « née dedans », il lui faudrait davantage de formation pour mieux anticiper la météo et développer le savoir-faire.
La fine fleur des jardiniers en herbe
Clotilde (10 ans) lors d’un évènement de soutien à la famille clamait avec conviction : « 1e, 2e, 3e génération, nous sommes tous des enfants du terreau ! »
Pour Jean-Baptiste (16 ans) le travail au jardin est une « détente utile » lorsqu’il rentre de pension. Bien qu’il contribue à l’effort familial lors des grandes plantations ou du bûcheronnage pour alimenter le poêle canadien de la maison, il aiguise ses connaissances par des essais de toutes sortes. De ses propres semis à la pratique de boutures pour former de nouvelles plantes à partir d’une simple tige sans racine, le jardin est source de grandes découvertes pour tout esprit curieux.
Antoine (19 ans) a pris en main le potager à la suite de sa maman pour l’aider à nourrir leur grande famille. Il se passionne pour la classification botanique des végétaux, expérimente la taille des arbres fruitiers, découvre aussi les difficultés d’une terre rebelle. Cette expérience familiale s’est prolongée en vocation professionnelle après un bac pro en aménagements paysagers à La Martinerie, il développe désormais ses compétences en embellissant les jardins de ses clients.
De la photosynthèse au photovoltaïque
Samuel et Sabine ont quitté la Région parisienne pour se lancer dans un nouveau projet de vie plus autonome et plus sain en Loire-Atlantique. Samuel, natif de la région, a souhaité revenir aux sources. Ils se sont installés dans une maison en très bon état sur une terre de carrière peu profonde et assez pauvre d’une superficie d’1,4 ha. La toiture était déjà équipée de panneaux solaires, qui, après quelques péripéties, fournissent désormais une partie de la maison en électricité. Le surplus de production revendu au réseau Enedis leur rapporte 300 à 400 €/an. Cette installation est cependant soumise aux coupures de courant éventuelles, c’est pourquoi ils sont en train de s’équiper d’un second réseau de panneaux sur batteries pour une autonomie complète. Selon leur étude, cet investissement sera amorti en cinq ans.
La recherche de production potagère innovante a encouragé ces trentenaires ambitieux à se lancer dans l’aventure de l’aquaponie. Cette méthode de culture sous serre et de pisciculture permet à la fois de produire un bon rendement de légumes et de fruits rouges ainsi que des poissons ; chez eux, des carpes. En effet, les déchets produits par les poissons sont source de nutriments pour les plantes qui à leur tour purifient l’eau. Nul besoin de bêcher, désherber, arroser mais attention, les poissons ne supportent aucun pesticide, même pas les traitements autorisés pour l’agriculture biologique. Ce système nécessite de la débrouillardise, une bonne dose de bricolage et un coût de départ plus important, rentabilisé par la suite. Le climat chaud et humide de la serre, ainsi que l’eau chargée de nutriments, sont propices au développement de boutures pour reproduire des framboisiers, rosiers, fleurs et arbustes divers. Les carpes sont savoureuses (pas de vase mais beaucoup d’arêtes), fournissent des protéines aux poules et les restes compostés contribuent à fertiliser les bacs de cultures en extérieur conçus pour les autres légumes.
Le potager a été clôturé pour permettre aux poules de picorer en liberté sur la pelouse. Elles logent dans un grand poulailler fait maison, avoisinant un trou d’eau aménagé pour des canards de Pékin et des oies grises de Toulouse aux œufs gigantesques. La croissance de la basse-cour est optimisée par une couveuse électrique. Les canards ont régalé toute la famille lors du repas de Noël.
Après cinq années, Samuel et Sabine ont arrêté l’élevage de moutons d’Ouessant pour passer à la race Solognote. En effet, bien que la viande soit excellente, cette race rustique est très sauvage, fugueuse et court très vite. Ils ont dû faire appel plus d’une fois aux amis et même à des chiens de berger pour les faire revenir dans la bergerie. La pratique de la tonte annuelle de la laine nécessite également une phase d’apprentissage ou les services d’un professionnel.
Les premiers pas en apiculture ont été sereins grâce au soutien d’un ami qui les a accompagnés pendant plus d’un an. La plantation d’arbres fruitiers sur un terrain adjacent prêté par le voisin, ainsi qu’un environnement naturel sain ont fourni aux abeilles de bonnes conditions de vie ; le rucher s’est agrandi petit à petit pour s’arrêter à dix ruches en raison du temps qu’il faut pour bien s’en occuper. De très bonnes récoltes et le concours du boucher du village leur ont permis de troquer du miel contre de la viande.
L’apprentissage de cette nouvelle vie à la campagne s’est fait progressivement : à travers des formations en ligne, des vidéos, des conseils d’amis et voisins avisés... et beaucoup d’erreurs au début. Puis, en s’appuyant sur un réseau local d’entraide et une dynamique technologique forte, ils ont pu établir une routine plus confortable. L’investissement dans un forage avec une pompe immergée ainsi que dans une cuisinière à bois haut de gamme sont les dernières étapes choisies pour une plus grande indépendance qui repose sur plusieurs sources d’énergie. En effet, ce fourneau polyvalent dispose d’un grand foyer qui alimente un four et des plaques de cuisson au bois, mais aussi de quatre feux au gaz et d’un four électrique. Il est connecté à un ballon d’eau chaude de 500 L et à un circulateur qui chauffent tous les radiateurs de la maison (150 m2 environ).
Cet ancrage dans une propriété qui tend à l’autonomie a encouragé Samuel et Sabine à s’impliquer davantage dans la vie locale de leur village d’adoption.