Beauté et sainteté
Le beau est objectif
Supposons que le beau soit subjectif, c’est à dire qu’il dépende du goût de chacun ; cela signifie qu’il est simplement affaire de sentiment indépendamment de tout critère si ce n’est celui de notre jugement personnel érigé en norme.
Or, comme nous le rappelle avec beaucoup de clarté Jean Ousset1 dans A la découverte du beau, « une norme qui change d’un individu à l’autre n’est pas une norme, elle n’est rien. Tout comme serait vain le code de la route, s’il était ramené à la libre fantaisie manoeuvrière de chaque conducteur. Dire que le beau tient seulement à l’opinion que chacun s’en fait revient à dire que le beau n’existe pas. Et si l’on veut être honnête, ce n’est pas : « ceci est beau » qu’il faut dire, mais « ceci me plaît ».
C’est là que l’éducation au beau prend tout son sens : elle « ne consiste pas à apprendre à aimer ce qui plaît (…) mais à apprendre à aimer (sinon à mieux aimer) ce qui est vraiment beau. Et qui risquait de ne pas plaire dès l’abord.2 »
Le beau est indissociable du vrai et du bien
Toute beauté quelle qu’elle soit (visuelle, auditive, intellectuelle, spirituelle, etc.) est intimement liée au vrai et au bien ; elle nous frappe et nous délecte par son éclat, sa splendeur, sa magnificence. C’est ce que nous rappellent tous les grands auteurs spirituels à la suite de Platon : « le beau suppose le vrai, est la splendeur du vrai.»
Saint François de Sales dans son Traité de l’amour de Dieu dit que « Le beau étant appelé beau, parce que sa connaissance délecte, il faut qu’ (…) il y ait beaucoup de splendeur et de clarté, afin qu’il soit connaissable et visible.
Le père Vallet dans L’idée du Beau dans la philosophie de Saint Thomas d’Aquin3 précise : « Le faux, c’est ce qui n’est pas ; comment ce qui n’est pas pourrait-il resplendir ? »
Il n’y a pas d’éclat ni de splendeur, donc pas de beauté dans le néant et l’obscurité. Comment le mensonge, l’erreur, l’absurdité, qui sont ce néant et cette négation de la lumière pourraient-ils resplendir ? Le père Vallet nous donne la réponse :
« Ne m’opposez point les bruyantes acclamations qui retentissent au pied de certaines chaires de mensonge ; ce n’est ni l’intelligence, ni le coeur, c’est la passion qui applaudit : à moins toutefois que l’orateur n’ait su (…) présenter l’erreur sous les couleurs séduisantes de la vérité. »
De même qu’il n’y a pas de beauté sans vérité, il n’y a pas de beauté sans bien : le beau, c’est la splendeur du bien selon saint Augustin et nous devons encore au père Vallet cette belle définition « Beauté et immoralité sont des mots qui ne vont pas ensemble ; il n’y a pas de beauté sans ordre, sans harmonie, sans perfection, et le mal dit tout le contraire de la perfection, de l’harmonie et de l’ordre. »
On peut même affirmer avec Jean Ousset que « la beauté est comme l’épanouissement, le couronnement de la bonté ». Gustave Thibon se demande quant à lui : « pourquoi devant une grande action morale ou un sacrifice héroïque - devant ces sommets du bien - ne disons- nous pas : voilà une bonne action, mais : cela est beau ! A partir d’une certaine hauteur, le langage de la morale débouche spontanément sur celui de l’esthétique. Faire l’aumône au pauvre qui passe, c’est bien ; s’immoler comme le Père Damien au service des lépreux, c’est beau, c’est sublime. »
Nous laisserons le mot de la fin sur ce chapitre à Victor Cousin : « Celui qui exprime dans sa conduite la justice et la charité accomplit la plus belle de toutes les oeuvres ; l’homme de bien est à sa manière le plus grand de tous les artistes. »4
Le beau conduit à la sainteté
« Ils Le verront tel qu’Il est », « ils Le verront face à face », écrit Saint Paul évoquant la vision de Dieu, « fin et bonheur suprême des élus ». Dire que la fin de l’homme est contemplative, c’est dire que la fin de l’homme est nécessairement la beauté. Car le beau c’est « l’être non seulement atteint, découvert (en tant qu’objet de vérité) mais contemplé, goûté, approfondi, apprécié. »2
Nous l’avons vu, la beauté apparaît comme le couronnement, la plénitude de la bonté : elle correspond alors parfaitement à notre vocation à la sainteté : la vertu poussée jusqu’à l’héroïsme.
« Ainsi comprise et ordonnée, la recherche du beau peut constituer une excellente, sinon la meilleure progression vers ce qui est la fin même de l’homme. (…) Si tant de gens ont aujourd’hui peu de goût pour le vrai, cela ne tient-il pas à la façon anti contemplative d’enseigner ce vrai ? Quand on l’enseigne ! (…) Bien pauvre est notre connaissance du vrai si nous ne savons pas en voir l’harmonie, autant dire la beauté. »2