Art et beauté
L’« oeuvre d’art » est un terme qui englobe aujourd’hui à peu près tout et son contraire, ce qui rend de plus en plus difficile tout jugement en la matière. Joignons au goût peu assuré une pointe de conformisme, et nous donnerons raison à coup sûr à Sacha Guitry affirmant : « J’ai remarqué que la plupart des gens étaient pris de panique devant les oeuvres d’art. La peur de se tromper leur fait perdre la tête et bientôt, ils ne savent plus où donner de l’admiration. »
L’éducation au beau prend donc un nouvel intérêt dans ce domaine, car privés de toute référence, nous offrons notre admiration au gré de notre sensibilité du moment, et prenons le risque de laisser dériver celle de nos enfants vers des horizons parfois surprenants… et plutôt décevants ! Ce chapitre ne prétend pas être un cours sur l’art mais simplement rappeler quelques principes de base...
L’art doit toujours mettre au service d’une idée, les éléments sensibles. La beauté ne s’adresse pas qu’aux sens, ce serait considérer alors l’homme comme un animal, négligeant ce qui fait sa supériorité même : son esprit. L’oeuvre d’art frappe nos sens, certes, mais doit atteindre notre intelligence.
On peut donc (surtout de nos jours) dégager un premier critère de jugement qui pourrait bien éliminer bon nombre de prétendues oeuvres d’art, à savoir : est ce qu’il y a seulement une idée exprimée dans ce que je contemple ou ce que j’écoute ? Citons à titre d’exemple le dadaïsme, mouvement né après la Première guerre mondiale qui entend détruire l’art et la littérature conventionnels. Le mot lui-même ne signifie rien, il désigne selon les fondateurs du mouvement, le néant absolu.
Cet idéal exprimé doit être beau, car l’art ne peut pas se passer de la beauté puisque la beauté est son objet propre.
Ainsi, la loi de vérité et de perfection qui assujettit la beauté oblige également l’art, qui devra manifester, révéler un idéal qui soit vrai et bon : « Le vrai et le bien sont pour l’art les limites qu’il ne peut dépasser sans choquer la raison ou scandaliser la conscience, et par conséquent, sans manquer le beau », rappelle le père Vallet.
Nous avons donc un second critère de jugement : le mensonge, même poétique, le crime ou l’immoralité, même magnifiés, peints, chantés avec talent, sont à exclure du champ de notre admiration comme nous y invite Ernest Hello (cf. ci-dessous). Ajoutons également que le degré de beauté d’une oeuvre, avant de dépendre du talent de l’artiste, dépendra du degré d’élévation de l’idéal. « Les grandes vérités et les beaux sentiments sont les meilleurs sources de toute inspiration », précise encore le père Vallet.
Ainsi, la beauté d’un poème chantant un clair de lune, ne peut susciter la même admiration que des vers dédiés au courage et à l’héroïsme. La beauté d’un chant à la gloire d’une épopée, n’égale pas la beauté du chant sacré à la gloire de Dieu. La beauté d’une peinture représentant un paysage n’élève pas au même niveau qu’une représentation des mystères de notre Foi etc. Il va sans dire que le registre de beauté le plus élevé n’exclut pas de notre admiration les registres inférieurs, car tous ont leur intérêt propre et manifestent la beauté, simplement à des degrés différents.
« L’idéal religieux étant le plus élevé, le plus grand artiste sera celui qui saura l’exprimer de la manière la plus parfaite ».
Bien évidemment le degré d’élévation de l’idéal ne fait pas tout en matière de beauté, encore faut-il un certain talent pour qui veut l’exprimer « de la manière la plus parfaite. »
Ce talent dans la réalisation artistique, doit respecter un troisième critère de beauté, qui est celui de l’ordre. Dans l’ordre de la nature, le sensible est soumis à l’intelligible. L’oeuvre d’art respecte cet ordre en proportionnant tous les éléments dont elle se sert pour frapper nos sens, au service de l’idéal exprimé : artistes, « ne nous faites pas aimer la matière, parlez à l’esprit, non à la chair » ?
Les couleurs et les lignes d’un tableau, les formes d’une sculpture ou les vers d’un poème ne sont pas admirables pour euxmêmes, mais pour leur aptitude à exprimer avec justesse ce que l’artiste souhaite représenter. Ainsi, la matière ne doit être ni trop accaparante, ni trop indigente pour que l’idéal puisse pleinement ressortir. Il existe un équilibre entre un baroque surchargé et « un type qui peint des fleurs blanches, complètement blanches, sur un fond blanc ». Plus cet équilibre et cette proportion sont présents dans une oeuvre, plus la réalisation s’approchera de la perfection.
Ces quelques pistes n’ont pas la prétention d’analyser en détail toute la richesse et la variété de notre patrimoine artistique pour en circonscrire la beauté, mais simplement de rappeler que le bon sens est le socle du jugement sur la beauté, et l’élévation de l’âme, la conséquence de tout regard porté sur elle. L’art est un vecteur puissant de toute la beauté de notre culture forgée au cours des siècles et il est bon de nous familiariser avec ses chefs d’oeuvres, en faisant appel autant que possible aux connaisseurs de notre entourage, qui sauront sûrement nous en donner le goût, à nous et nos enfants.
Ernest Hello sur l’art mensonger
« Ce que j’appelle mépriser l’Art, c’est lui permettre de mentir. L’artiste méprise l’Art quand il tend à autre chose qu’à réaliser le vrai. Le critique méprise l’Art quand il lui pardonne d’avoir un idéal qui n’est pas vrai. Nous entendons tous les jours cette absurde parole, appliquée à telle ou telle erreur, quand cette erreur est exprimée en langage brillant : ‘ c’est de la poésie ’.
Lorsque l’homme médiocre, parlant d’un mensonge, a prononcé ce mot : ‘ c’est de la poésie ’, il croit avoir disculpé le menteur. Il a prononcé, au contraire, une accusation nouvelle, car si le menteur ment poétiquement, il fait mentir la parole dans sa forme la plus élevée.
Poésie veut dire création. Le mensonge qui atteint la poésie envahit un sanctuaire. L’homme médiocre qui veut caresser le désordre d’un autre homme prononce ce mot : ‘ c’est un artiste ’. S’il s’agit en effet d’un artiste, ce désordre chez lui est monstrueux. »