Héroïsme et devoir d'état
Nous devons au R.P. de Chivré o.p. de très belles prédications aux élans poétiques, à la fois profondes et viriles, éditées sous forme de Carnets spirituels. Le carnet n° 22, préfacé par l’abbé Michel Simoulin, décrit ce que doit être l’héroïsme chrétien en cinq chapitres : définition de l’héroïsme ; l’héroïsme et la tentation ; l’héroïsme et le devoir d’état ; l’héroïsme du silence et enfin, l’héroïsme dans l’échec. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement au troisième chapitre consacré à l’héroïsme et au devoir d’état.
Trois grandes idées se dégagent de ces pages pleines de souffle et de réalisme : tout d’abord, le devoir d’état est un devoir sacré consubstantiel à notre nature humaine et à notre état de chrétien ; ensuite, il importe de bien connaître ce qui fait obstacle à notre devoir d’état ; enfin, ces obstacles ne seront surmontés que par l’héroïsme chrétien.
Un devoir d’état consubstantiel à notre nature humaine et notre état de chrétien
Inversant la proposition, le R.P. de Chivré nous rappelle que « vivre c’est évoluer dans un état de devoirs, c’est-à-dire, une permanence de responsabilités vécues et aimées ». C’est la raison pour laquelle le choix d’un état de vie revêt une importance primordiale : en effet, il consiste à accepter courageusement les responsabilités qui en découlent et à ne pas se contenter de l’élan initial du cœur et de l’âme qui ne suffit pas à nous fixer dans la durée.
De plus, en tant que chrétien, le devoir d’état : « fait toujours écho au portement de croix », car « son lot de fatigue, de sueurs et de lassitude purifie l’esprit de bien des tendances animales ». C’est la raison pour laquelle le devoir est sacré, « une liturgie qui rend à Dieu le culte qui lui revient dans et par la vie naturelle, à plus forte raison dans la vie surnaturelle à laquelle il demande les vertus manifestées par les saints. »
Le sens du devoir, c’est la garantie, quels que soient nos talents et nos insuffisances, de toujours faire pour le mieux et d’aller jusqu’au bout avec persévérance. « C’est espérer contre toute espérance », comme nous le rappelle saint Paul, c’est aussi avoir une certaine noblesse dans le comportement : maîtrise de soi, tenue, patience, dignité. « Le devoir d’état est le privilège des princes », nous dit le R.P. de Chivré. Il suppose naturellement une certaine conscience des obstacles à surmonter.
Connaître les obstacles à notre devoir d’état
Notre faiblesse, le manque de discernement dans le choix d’un état de vie mais aussi, la lâcheté de certains parents renonçant à préparer leurs enfants aux exigences de leurs futurs devoirs, en leur laissant miroiter une vie facile, sont parmi les facteurs les plus courants faisant obstacle à l’accomplissement du devoir d’état et donc à notre vocation d’élus. A ces trois motifs, il faut en ajouter un quatrième : le collectivisme, c’est-à-dire cette organisation sociale et politique qui, à la différence de la vie communautaire où chacun est à sa place, dissimule la responsabilité individuelle derrière le groupe : « le groupe roi, le groupe dictateur (…) emprisonnant la liberté de jugement et la liberté de conscience sans lesquelles il est impossible de remplir son devoir ». Mais il ne suffit pas de connaître, il faut surmonter, vaincre : c’est ici que commence l’héroïsme du devoir d’état.
L’héroïsme du devoir d’état
Si l’on reprend le devoir d’état à son début, c’est-à-dire le plus souvent, le choix d’un état de vie, l’héroïsme est d’abord réflexion et décision pour embrasser un état de vie certes compatible avec nos capacités mais refusant la médiocrité. Il est ensuite fidélité pour persévérer et « gagner la couronne de gloire » ; faire son devoir chaque jour, jusqu’au bout, quelles que soient les circonstances, est plus héroïque « qu’une bataille rangée qui dure peu de temps », nous rappelle celui qui fut aumônier militaire présent notamment à la bataille de Dunkerque. Le devoir d’état est donc cet « impératif moral qui ose exiger d’être premier servi malgré l’envie naturelle de lui demander d’attendre », mais aussi cette libre acceptation de la grâce et de la volonté divine « parce que le héros est celui qui consent à une alliance du divin et de l’humain, ce qu’avaient déjà compris les païens. A cet égard, combien sommes-nous à « ne pas atteindre le niveau païen de la conception naturelle de la destinée de l’homme, alors que nous avons la Foi, la grâce, le Christ, les sacrements pour soulever nos vies au niveau des héros » ? « Ne pas être un réserviste de la Foi que Dieu n’ose plus mobiliser pour les grandes épreuves, car il se maintient en effet perpétuellement en réserve. » Voilà le sens profond de l’héroïsme chrétien et l’appel ardent du R.P. de Chivré.