Mgr Lefebvre,fidèle et rebelle ?

Citer en exemple Mgr Lefebvre dans un numéro de Famille d’abord traitant de l’autorité, paraîtra à certains esprits superficiels une incongruité, voire une provocation. Comment l’évêque qui s’est opposé à l’autorité de Paul VI en refusant la nouvelle messe, et plus encore comment celui qui s’est dressé contre l’autorité de Vatican II dans un ouvrage intitulé «J’accuse le Concile» (Ed. Saint-Gabriel, 1976), peut-il donner l’exemple de l’obéissance ?

Superficiellement ou médiatiquement (ce sont des synonymes), on peut voir en Mgr Lefebvre un rebelle, un orgueilleux, et s’en scandaliser. Superficiellement ou dialectiquement (ce sont aussi des synonymes), on peut voir en lui un évêque de fer résistant à tous les assauts du modernisme, et s’en féliciter. Les libéraux tenteront de concilier ces points de vue contraires en disant que Mgr Lefebvre fut «fidèle dans sa rébellion» ou «rebelle dans sa fidélité». Laissons-leur ce langage bizarrement réversible, comme leurs convictions...

Profondément, Mgr Lefebvre fut fidèle à ce qu’il avait reçu et qu’il devait transmettre, ainsi qu’il le fit graver sur sa tombe : « tradidi quod et accepi » (1Cor 15,3). Il s’opposa à ce qui contredisait ce qu’il avait reçu et qu’il devait transmettre fidèlement. Il fut rebelle lorsqu’on lui interdit d’être fidèle. S’affranchit-il de l’autorité au nom d’un libre examen personnel, selon des critères subjectifs ? Non, comme il l’écrivit dans sa déclaration du 21 novembre 1974 : « Aucune autorité, même la plus élevée dans la hiérarchie, ne peut nous contraindre à abandonner ou à diminuer notre foi catholique clairement exprimée et professée par le magistère de l’Eglise depuis dix-neuf siècles. “S’il arrivait, dit saint Paul, que nous-même ou un Ange venu du ciel vous enseigne autre chose que ce que je vous ai enseigné, qu’il soit anathème.” (Gal 1,8)»

Sa désobéissance aux autorités romaines fut dictée par la fidélité à l’autorité de Dieu. Et toujours ce fut pour lui une source de souffrance, à la différence des révolutionnaires qui se réjouissent de voir l’autorité elle-même détruite, avec ses représentants.

Car la pierre de touche de cette désobéissance par fidélité est la croix. La croix non pas posée au mur, mais «plantée au vif de l’existence», comme l’écrit le P. Calmel. C’est elle et elle seule qui montre l’attitude à avoir dans la crise que connaît l’Eglise. Lors d’un sermon prononcé pour les ordinations à Ecône, en 1982, Mgr Lefebvre rappelle qu’au calvaire Marie était debout au pied de la croix où était cloué Celui qui n’avait plus apparence humaine et dont la divinité semblait avoir disparu, mais qui demeurait vrai Dieu et vrai homme. De même, lorsque l’Eglise traverse sa passion, que son autorité divine semble disparaître sous les agissements d’autorités trop humaines, elle est toujours le Corps mystique du Christ, et seul un regard de foi nous permet de rester debout.

Il est des catholiques qui souffrent pour l’Eglise et ne veulent pas souffrir par l’Eglise. Il en est d’autres qui souffrent par l’Eglise et finissent par oublier que c’est pour l’Eglise. Mgr Lefebvre souffrait par les autorités ecclésiastiques pour l’autorité de l’Eglise.

Le fondateur de la Fraternité Saint-Pie X a toujours refusé d’être considéré comme le chef des traditionalistes, par humilité c’est-à-dire par fidélité à l’autorité éternelle de Dieu, à l’autorité bimillénaire de l’Eglise qu’il voulait servir sans dévier d’un iota. En ce sens, selon l’expression du P. de Broglie, il ne dirigeait pas, mais on se dirigeait vers lui pour garder le cap qu’il tenait fidèlement. Il fut un modèle ; il demeure un exemple.